Ethique de Communication des ONG – Influence et Concurrence

III- Analyse des Pratiques B

IV. Influence et concurrence

Les ONG ne sont pas seules à pouvoir décider de leur communication. Elles subissent des pressions et doivent compenser de plus en plus vite les fluctuations de leurs revenus. Mais surtout, leur image de confiance est un exception dans la publicité et elle séduit d’autres “annonceurs“.

A. Les médias d’information occidentaux

Médias et humanitaires sont un « couple obligé »1, ils s’entraident souvent sur le terrain.
Les ONG ont la logistique pour le transport des hommes et du matériel sur place, les journalistes ont les moyens de communication et servent de relais à leur action. Ils se retrouvent obligatoirement aux mêmes endroits : là où ils peuvent agir et témoigner par le contact avec la population et où ils disposent de certains éléments de base – électricité, eau, … Ils sont soumis aux mêmes risques et doivent tous les deux faire de l’audience.

1. Enjeux actuels et débats

Les problèmes actuels viennent des changements qui sont survenus ces quinze dernières années. La mondialisation de l’information a posé de nouveaux enjeux, les médias sont devenus plus commerciaux – privatisation des chaînes télévisées, augmentation du poids des actionnaires dans les lignes éditoriales des rédactions, … – les ONG sont très nombreuses et les crises aussi. Les acteurs de l’humanitaire ont l’impression de ne plus comprendre les règles qui leur permettent d’avoir une tribune dans les médias. Leur attention est fluctuante, ils vont moins sur le terrain et ne répercutent plus systématiquement les informations qui leur sont transmises par les ONG.

a) Conditions de médiatisation : Diverses visions du rôle des journalistes

Le “clan“ des journalistes se divise en deux grandes catégories quand il s’agit de s’expliquer sur leurs choix éditoriaux par rapport à l’humanitaire (9) (6). Certains déclarent clairement répondre à des objectifs de rentabilité financière et donc établir des priorités, le développement n’étant pas une assurance d’audimat, il est assez souvent mis de côté.
D’autres ont déterminé de critères qui leur permettent de juger de la portée qu’aura un sujet et donc de son intérêt à être diffusé ou à paraître (2). Pour le tiers-monde, avec la quantité d’images qui ont circulé, il faut passer de préférence à la télévision ce qui nécessite de pouvoir fournir des images sans interruption pendant toute la période de traitement du sujet.
Il vaut mieux se trouver dans une situation unique, car deux famines ne peuvent être traitées sur le même plan au journal télévisé.

Tout comme dans la communication publicitaire, la victime doit être la plus innocente possible. L’idéal est un cas de catastrophe naturelle – ce qui a marché pour le tsunami n’a pas au fonctionné avec le séisme au Pakistan sans doute à cause des marquages culturels islamiques de la population, trop polémiques.

La présence d’un médiateur – une personnalité ou un volontaire – qui va présenter la victime ou la situation crédibilise et anime le sujet. Le remède doit accompagner le mal.

B. L’humanitaire à la mode : les nouveaux acteurs du “Marketing humanitaire“

Le tiers secteur bénéficie de la confiance du grand public : les images et les messages ne sont pas manipulés, encore moins mensongers. La communication humanitaire a beau utiliser des techniques marketing, elle reste crédible. Que se passe-t-il quand ces méthodes sont reprises par d’autres acteurs, moins transparents quant à la finalité de leurs campagnes ?
Cette publicité humanitaire est maintenant assez bien installée dans l’esprit du grand public pour que certains jouent sur sa standardisation et utilisent ses conventions pour pousser à la consommation, “recadrer“ leurs actions, ou redorer leur image.

1. Les entreprises

Des fondations d’entreprises aux rapports annuels de “responsabilité sociale“, de “développement durable“ ou “d’éthique responsable“, les entreprises se sont lancées dans un secteur tendance : l’intérêt général. Affirmer sa citoyenneté en contrepoint de sa logique initiale de profit est devenu un passage obligé pour toutes les grandes entreprises. Il ne s’agit pas de s’interroger sur la profondeur de leur engagement, mais plutôt sur l’impact qu’elles peuvent avoir sur le marketing social : elles sont des professionnelles de la communication commerciale et n’ont pas d’autres enjeux que de mettre en valeur leur image, un service, ou un produit “éthique“.

a) Le don qui ne coûte pas un rond

CashStore, site d’achats en ligne, s’est associé à la FIDH (Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme) pour l’opération « le don qui ne coûte pas un rond » 2. La campagne était bien sûr présente sur le Web, mais comprenait aussi des spots télévisés humoristiques et “énigmatiques“ car renvoyant à un site Internet2. Ce genre de promotion d’une adresse par une publicité télévisée n’est pas fréquent et la plus connue est celle du teasing du 118 218 du Numéro.
Elle interpelle d’autant plus qu’elle met en scène des acteurs dans une situation de vie quotidienne – baroque pour l’humour – où on leur demande de donner quelque chose ou de partager (du papier toilette, de l’eau, ou une fessée).
Cette campagne a bénéficié des mêmes avantages tarifaires que ceux accordés aux ONG d’habitude, avec quelques diffusions sur une courte période mais à des heures de grande écoute, sur France 2 seulement. Sa signature est claire : « parfois on a du mal à donner, c’est humain ». On va donc vous faciliter la démarche, autant psychologiquement que
matériellement. Le message en lui-même est une approche intéressante et certainement novatrice dans un domaine où le grand public commence à donner plus par habitude que par conviction.
Le problème est qu’on est poussé à chercher à savoir ce qu’il en est réellement de cette opération mais que les informations ne sont pas claires sur le don et son utilisation. Une partie des sommes consacrées aux achats reviendra à la FIDH et par cette opération, les articles en vente sur CashStore deviennent des produits citoyens.

b) Body Shop / MTV

Début 2007, MTV International et Body Shop ont lancé la campagne « parfumez vous pour faire évoluer les comportements » 3. Les deux entreprises ont monté un partenariat pour cette action caritative qui vise à sensibiliser les jeunes aux dangers du VIH/SIDA. Il s’agit donc de vendre, à l’échelle internationale, une édition limitée d’un flacon de parfum ; les bénéfices de la vente financeront la fondation Staying Alive du réseau MTV. Sur demande des clients, les boutiques fourniront de la documentation « favorisant l’éveil » (24) sur la prévention du VIH.
Deux marques se sont donc associées pour faire de la sensibilisation, sans oublier de favoriser l’aspect commercial. Au final, on ne sait pas combien a rapporté l’opération, mais on apprend que le sondage réalisé a donné des résultats « inquiétants » : tout le monde n’utilise pas encore systématiquement les préservatifs.
On peut s’interroger sur l’intérêt d’une telle action – en dehors des bénéfices financiers : mener une campagne mondiale avec une démarche de sensibilisation peu développée et la mise en avant d’une évidence fait plutôt penser à un coup de pub pour redorer son image.
Alors il arrive que les ONG contre-attaquent : quand on se sert de leur activité pour s’attirer la confiance du public, il se peut que cela fasse l’objet d’une campagne. OXFAM est une ONG anglaise qui gère aussi des boutiques de commerce équitable. Elle se sert de ses vitrines pour mener certaines contre-campagnes. Quand elle s’attaque aux marques, elle utilise évidemment le détournement publicitaire, cette fois-ci dans une démarche on ne peut plus cohérente, comme elle l’a fait dernièrement avec Chiquita 4.

2. Les armées

Les actions armées resteront toujours un sujet de débat. Dans un conflit, les torts sont partagés et on peut rarement distinguer les “vrais“ gentils des “vrais“ méchants. Alors pour éviter la polémique, certaines forces armées essaient de changer leur image. En qui le public a-t-il confiance dans des situations de crise ? Dans les acteurs de l’humanitaire. Ils peuvent donc servir d’alibi et les images des militaires se transforment. Ils ne sont plus armés, en troupes ou en formation, mais aux côtés des populations, leur venant en aide. De la même manière, un glissement de l’iconographie humanitaire dans les médias concourre à l’amalgame : le french doctor en blouse banche a disparu, l’envoyé humanitaire est un homme de terrain, qui pilote un hélicoptère et semble prêt à réagir dans toutes les situations.
Mais l’aspect visuel n’est pas le seul à subir des modifications : au Kosovo, une action baptisée « Abri Allié » était en fait une opération militaire. Et quelques “messages“ passent inaperçus : on a pu entendre Colin Powell déclarer que les ONG sont « un tel multiplicateur de force pour nous, une part si importante de notre équipe de combat » 5. Enfin, ils agissent parfois sans bon sens apparent : livrer des ordinateurs à une école dont le village entier n’a pas l’électricité a plus perturbé la population, qui sortait d’un conflit, qu’autre chose. Mais cela leur a fourni de belles illustrations.
L’intérêt est tout à fait stratégique : cette aide pacifique leur permet d’occuper le terrain, avec leurs hommes mais aussi politiquement. La reconstruction des infrastructures leur est utile pour le transport de matériel et de troupes.
Mais on en est arrivé au point où la ressemblance paraît tellement normale que même l’armée française diffuse des spots publicitaires qui font plus penser à du volontariat humanitaire – des actions de paix – qu’à des actions armées.

3. Les “Stars“

On a l’habitude de voir les stars organiser des événements, essentiellement télévisés – Les Enfoirés – ou au moins y participer en tant qu’invité – Téléthon. Mais certaines d’entre elles n’ont pas trouvé cette implication suffisante.
En dehors des stars ombrelles, comme Adriana Karembeu pour la Croix-Rouge, on assiste à une implication croissante dans le tiers secteur des stars elles-mêmes. Elles agissent, vont sur le terrain – Angelina Jolie – se rendent à l’ONU – George Clooney – ou mettent parfois leur carrière entre parenthèses pour quelques années – Bono.

a) Darfour

Le cas du Darfour est particulièrement représentatif de cette mobilisation parfois surréaliste. George Clooney est reçu à l’ONU – on peut se demander quelle est sa légitimité sur le sujet, en dehors de s’être rendu sur place, comme beaucoup de personnels d’ONG, qui ont une expérience bien plus notable – et entame un discours sur la nécessité de prise de conscience et d’intervention des États face à un génocide. Sa formulation permet l’amalgame psychologique entre les exactions des Nazis et le Darfour et alerte le grand public.
Pourquoi le tiers secteur ne réagit-il pas ? Simplement parce beaucoup sont déjà en action, qu’il ne s’agit pas d’un génocide a aussi grande échelle, ni aussi organisé que la Shoah et que concrètement cet argument n’est pas valable uniquement pour le Darfour : « il y a en permanence dans le monde au moins 3 ou 4 génocides en cours » 6. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien faire, mais il n’y a pas d’urgence plus marquée là-bas qu’ailleurs, cette crise n’a rien d’extraordinaire.
Au final dans les médias, il y a plus de temps d’antenne accordé à des débats sur le manque de médiatisation et d’explications de cette crise, qu’aux émissions socio-éducatives qui y sont consacrées. Les ONG sont invitées sur les plateaux et le cas prend de l’importance.

Pourtant, la situation continue de se détériorer jusqu’au début de l’année 2007, où certaines ONG sont obligées de quitter le Darfour, les conditions d’intervention étant devenues trop dangereuses.
Il est possible qu’en décalant la polémique sur le manque de médiatisation et d’explications des crises humanitaires par les acteurs eux-mêmes, on en soit arrivé à ne plus se pencher sur le rôle d’alerte auprès des pouvoirs publics et leur propre absence de réaction.

1   -   (10) Philippe Descamps, journaliste
2   -   www.ledonquinecoutepasunrond.
3   -   Annexe 13 : les entreprises, p. 37
4   -   Annexe 13 : les entreprises, p. 37
5   -   Octobre 2001, en tant que secrétaire d’État des États-Unis
6   -   Réaction du directeur de MdM, dans l’émission en aparté, Canal +.
CONCLUSION